« C’est le destin qui distribue les cartes,
mais c'est nous qui les jouons. »
Randy Paush.

Un univers en perpétuelle activité. Un métier éreintant. Une machine à café souvent en panne ou qui ne rend pas la monnaie. Eliad soupire et se dit que les études qu’il fait le destine à cela. Agir continuellement comme un robot. Ausculter, boire un café, ausculter, faire une ronde, boire un café, opérer, boire un café .. Il est évident qu’une fois le bouton ‘On’ enclenché, on ne ressort plus de ce cercle vicieux. Alors le jeune homme se raccroche à l’idée, sans doute la seule et la principale, pour laquelle il se donne à fond afin de réussir dans cette voie : sauver des vies. Il sait à quel point l’on peut s’attacher à un patient, particulièrement si c’est un enfant ou une personne là pour un bon bout de temps et lier une certaine amitié mais il sait aussi à quel point l’échec peut être destructeur lorsque l’on évolue dans ce milieu. Combien de fois n’apprend-t-il pas le suicide d’un médecin suite à la mort de l’un de ses patients ? Combien de chirurgiens aux mains miraculeuses ne prennent-ils pas d’antidépresseurs pour atténuer leur lassitude ? Le beau brun ne veut pas finir comme ça. Au fond, personne ne le veut ; mais le risque est pourtant bien là.
Ses pas retentissent dans les couloirs du San Francisco General Hospital. Il se dirige vers la salle réservée aux étudiants où l’attend son casier pour y ranger la blouse qui l’accompagnera sans doute tout au long de sa carrière et sur laquelle apparaîtra une petite plaque au niveau de la poitrine où sera gravé ‘Dr. Johnson’. Il sourit. Pour le moment Eliad n’est qu’en 3ème année et vient de finir son cours de ‘pratique’ qu’il a manifestement bien réussit sous l’œil et les conseils bienveillants de son professeur. Il dépose sa blouse à l’intérieur du casier et part en direction de la sortie. Il est 15h10. A vrai dire, il ne sait pas trop quoi faire de ce qui lui reste de son après-midi. Ysabel est avec sa demi-sœur. Lui est seul. Le jeune homme plonge la main dans sa poche et en ressort son téléphone portable. Alors qu’il se rend dans sa boîte de réception, un appel entrant monopolise l’écran. Un peu surpris, il regarde le nom qui s’y affiche.

Citation :

Lilly

♣ « Allô ? » dit-il comme s’il ne connaissait pas son interlocutrice.

♦ « Coucou mon garçon ! C’est maman. Alors, San Francisco c’est comment ? Et, dis-moi mon grand, tu as retrouvé Ysabel ? » s’empresse-t-elle de demander.

♣ « Coucou maman. Oui ça va, c’est plutôt cool ici. Et, oui, elle est avec sa demi-sœur, enfin, c’est compliqué, je t’expliquerais une autre fois. » répond-t-il quelque peu dépassé par toutes les questions de sa mère.

♦ « Aaah ! C’est parfait alors ! Et les cours, ça va ? » demande-t-elle ensuite.

♣ « Oui ça va maman, ne t’en fais pas. »

Puis il perçoit la voix de son père, sans doute est-il dans la même pièce, plus loin du combiné.

■ « Enfin Lilly, ne lui pourrit pas son après-midi. »

Il sait que sa mère va se vexer, alors il sourit.

♦ « Allan, ne commence pas. Je parle à mon fils ! … Dis mon garçon, j’ai entendu dire qu’il y avait une avenue à San Francisco, Ocean Avenue il me semble, où des artisans peignent, sculptent .. Tu devrais peut-être y aller. Il faut être habile quand on est médecin !»

■ « C’est ça, et pourquoi tu ne lui proposes pas le tricot pendant que tu y es ? … Fiston ! N’écoute pas ta mère, elle raconte n’importe quoi. Tu sais comment sont les femmes quand elles vieillissent ! »

♦ « Allan ! Non mais je ne te permets pas ! »

Dès lors, il sait que cet échange va durer une éternité et qu’il sera impossible de les arrêter, alors il raccroche, le sourire aux lèvres.

*

C’est une petite rue pittoresque et en pente regorgeant d’antiquaires, de marchands de souvenirs et de quelques peintres et sculpteurs qui s’étend devant Eliad au lieu d’une grande avenue comme le nom ‘Ocean Avenue’ peut le sous-entendre. Cependant il n’est pas déçu. Bien que ce ne soit pas ce à quoi il s’attendait, le beau brun prend plaisir à voir ce qui s’offre à lui. Les artisans travaillent de chaque côté de la rue afin de laisser au milieu de ce grand chemin, une libre circulation aux passants. Il s’engouffre dans la foule, marchant avec elle, comme entraîné par un courant. Il s’arrête face à un stand où un artisan propose de ‘réveiller le sculpteur qui sommeil en chacun’. Le jeune homme sourit en secouant la tête. Il pense que ce sont des conneries mais se rappelant les paroles de Lilly, il se prend au jeu. L’artisan lui propose trois types d’objets à sculpter : une sphère, un rectangle et un carré. Eliad opte pour le carré.
Après quelques minutes, il se rend compte que ce qu’il a sculpté ressemble plus à une chose difforme et vraiment moche qu’au petit cube du début. Il espère sincèrement être plus doué dans son futur métier et que, comme Allan le disait plus tôt, les paroles de sa mère ne sont que des inepties. Le beau brun se remet en marche et remarque un peu plus loin une jeune femme qui s’essaye à la peinture, dans un autre stand. Son visage lui revient en mémoire. Il se souvient maintenant qu’elle avait esquissé un sourire moqueur en passant devant sa modeste création tout à l’heure. Alors il vient se placer juste derrière elle pour observer son chef-d’œuvre.

♣ « Si je puis me permettre, vous n’êtes pas plus douée que moi. » lance-t-il l'air moqueur à son tour.