Vendredi soir. 22h. Dans un club. Beaucoup de personnes sont présentes. C'est une soirée où certains élèves et professeurs se sont donnés rendez-vous. L'objectif ? Faire la fête, s'amuser, chanter, danser. Vous savez, c'est ce genre de soirées où quelques personnes montent sur scène pour se donner en spectacle. D'accord, d'accord, de la façon dont je le dis, on pourrait croire que je n'aime pas cela. Pourtant, c'était mon métier, avant que je ne quitte les planches il y a douze ans, pour m'engager dans l'armée. À l'époque, j'étais un artiste reconnu en France, un peu ici, mais tellement moins. Je fus davantage professionnel dans le théâtre, mais il m'arrivait de faire des shows. Je chante, je danse, je joue de la musique. Oui, j'étais fait pour me retrouver sous le feux des projecteurs. Aujourd'hui, on pourrait trouver cela étonnant dans la mesure où on a davantage l'impression que je préfère être en marge de la société, passer assez inaperçu pour ce genre de choses.

Et pourtant, je me retrouvais ici ce soir. Samuel m'a poussé à venir. Comme il dit, rien de tel qu'une soirée ensemble pour renouer davantage les liens. Nous sommes déjà bien redevenus proches, mais il estime qu'il faut que je me bouge les fesses pour retrouver un minimum d'humanité, humanité que j'ai perdu pendant l'armée. Comme si j'avais besoin de perdre mon arrogance... soit. Mon frère aîné souhaite que je remonte sur scène, que je reprenne un minimum ma carrière de comédien, car j'ai beaucoup de talent et les capacités pour réussir. C'est vrai que je devrais en profiter, car ce n'est pas donné à tout le monde. Pourtant, cette facette de ma vie ne m'intéresse plus. J'ai eu beau lui avouer que ça ne me disait rien, je me retrouvais finalement dans ce club, habillé avec classe, soit d'une chemise blanche, d'un pantalon de costume noir et d'une cravate de la même couleur.

La soirée débuta. En arrivant, mes yeux marrons reconnaissaient plusieurs personnes. Un certain nombre d'étudiants qui restaient sur San Francisco le week end, à défaut de ne pouvoir retourner chez leur famille, cette dernière habitant bien trop loin. Quelques collègues également. Alcide Van Stexhe était présent, Edward O'Malley aussi, Andrew Holden, mon frère donc, mais également... Cheyenne Hutchinson... mon cœur loupa un bond quand mon regard se posa sur elle. Forcément, elle était en présence de son cher et tendre. Mon visage resta cependant neutre, même si je n'arrivais pas à décrocher mes yeux de la charmante jeune femme. Et, comme un petit garçon amoureux d'une fillette, au lieu de me montrer gentleman, j'usais d'arrogance et de méchanceté. Ainsi, après que Samuel nous ai poussé à nous asseoir à la même table que Cheyenne et Andrew, je lançais à cette dernière. « Alors, prête à faire en sorte qu'une averse tombe sur San Francisco ? » Petit sourire malicieux, avant de m'asseoir et de récolter les foudres de son petit ami, et ex-compagnon d'arme. Mon frère, lui, me donna un léger coup dans les côtes, afin de me faire comprendre que je ne devais pas chercher la bagarre. Comme ci c'était mon genre...

Après qu'un petit nombre de personnes montèrent sur scène, je fus, malgré moi, je tiens à le préciser, poussé sur scène avec mon frangin. Ce dernier avait bien envie de rigoler et de faire un clin d'œil à une chanson française – qui a tendance à me ruiner les oreilles –, qui est « J'ai encore rêvé d'elle », mais chanté comme la reprise des frères Taloche avec toute la gestuelle. Désespérant. Et pourtant... ça fera bien rire la salle.

Logan : « Toute en douceur... Juste pour mon cœur... Si je pouvais me réveiller à ses côtés... » Grimace de ma part en arquant un sourcil vers mon frère.
Samuel : « Ouvre tes yeux, tu ne dors pas ! » Il faisait de grands gestes pour attirer pour attention.
Logan : « Si je savais où la trouver... »
Samuel : « Regarde-moi !!! » Je ne pouvais retenir un léger rire en vue de la situation.
Logan : « Donnez moi l'espoir... »
Samuel : « Je suis à toi ! »
Logan : « Prêtez-moi un soir... »
Samuel : « Je t'aime ! »
Logan : « Une nuit, juste pour elle et moi... »

Au moins, les rires se firent entendre à la fin de la chanson, ainsi que les applaudissements et les sifflements. Puis nous retournions à notre table.

Il était rare de pouvoir profiter pleinement d'une simple soirée où le rire coulait à flot aussi facilement que la bonne humeur de tout un chacun. Le club était aussi sombre qu'à l'ordinaire, peut-être un tout petit peu plus clair à cause des projecteurs qui illuminaient le visage des élèves se tentant à un karaoké (presque) improvisé. L'avantage de ne pas être qu'une simple habituée avait ses petits avantages: saluant le gérant d'un sourire radieux, celui-ci me fit un signe approbateur de la tête, et il n'en fallut pas plus longtemps pour que j'attire Andrew dans un coin précis de la salle, dans laquelle trônait une table juste un tout petit peu plus grande que les autres, affublées d'un panneau "réservé" que je trouvais étonnant qu'un étudiant n'en ai pas passé outre pour s'installer... sans doute étaient plus conscients que jamais de la présence d'adultes dans leur univers. Quoique je refuse de considérer un simple club où tout le monde est libre de s'amuser comme étant univers exclusif de nos jeunes; preuve en est qu'apparemment, si j'en crois ce qu'il m'a un jour raconté, c'est dans un lieu pareil qu'Andy m'a rencontrée pour la première fois... même si j'en ignorais tout.

Mais ça n'avait plus la moindre importance.

Nous nous amusions, apparemment nous n'étions pas les seuls, et Joe se faisait un plaisir de nous envoyer Jessica pour qu'elle prenne nos commandes de temps à autre: il savait que je m'entendais toujours aussi bien avec la jeune femme et que pour une raison obscure, notre relation était plus significative qu'avec les autres membres du staff du club... Je ne cherchais même pas à comprendre, revoir Jess' était toujours un véritable plaisir... même si j'avais à surveiller Andrew lorsqu'il lui parlait, sinon elle étaient encore capable de se voir demander de confier certains "secrets de scènes" qui étaient on ne peut mieux tels qu'ils étaient. Secrets. Au lieu de ça, ma tendre moitié me taquinait, cherchant de toutes les manières possibles et imaginables à me mener à monter sur scène pour pouvoir laisser éclater ma voix, chose à laquelle je m'opposais fermement. Mon ton était sec, mes sourcils fronçaient mais mes yeux restaient rieurs et le sourire que je gardais au visage détrompait ma mauvaise humeur.

Je pense que j'appréciais juste un peu trop qu'il ne me supplie. Il était mignon quand il me taquinait...

J'aurais pu le laisser continuer longtemps, mais l'instinct me chuchota autre chose. Comme cette impression d'être observée, et qui par conséquent me fit détourner la tête de mon compagnon pour scanner la salle à la recherche de ce qui me donnait la sensation d'être épiée. Je ne cherchais pas grand chose. Juste une paire d'yeux, braquée vers moi. Je scannais la zone d'entrée en dernier, et c'est pourtant là que je trouvais réponse à ma question: les frères Salaun venaient d'arriver, et si je saluais volontiers Samuel, je me montrais plus réservée quant à Logan. Nous n'avions jamais été en de trop trop bons termes lui et moi et ce que j'avais appris de lui ces derniers temps n'avait en rien arrangé les choses: apparemment, l'animal avait le béguin... pour moi.

Ils vinrent s'installer près de nous, probablement poussé par Samuel et Logan qui suivait trop ravi de se tenir près de moi. Il ne lança qu'une pique et ça fut suffisant pour mettre Andrew dans tous ses états. Posant la main sur son bras pour le calmer, alors qu'il m'enlaçait doucement comme pour rappeler à Logan lequel des deux pouvait se considérer comme "mien", je ne rendis qu'un sourire neutre à Salaun. Un sourire qui ne garantissait aucune émotion, si ce n'est l'indifférence la plus totale et un plaisir carnassier de finalement me laisser aller à ce qu'Andrew voulait depuis tout à l'heure.

Pourquoi, tu as l'intention de nous faire exploser les tympans, Logan?

Il semblait trop fier de lui lorsqu'il s'est levé pour rejoindre la scène et faire je ne sais quoi en compagnie de son frère. Mais une fois que la chanson s'était mise en route et que le duo s'amusait à mimer la gestuelle, je n'avais besoin de ne connaître mieux le français pour savoir de quoi la chanson parlait. Me calant un peu plus contre Andrew, comme pour calmer sa frustration et rassurer son égo, j'attendais que le duo revienne nous rejoindre avant de finalement ne glisser que quelques mots à l'oreille de mon compagnon. Le sourire qu'il m'adressa me fit chaud au coeur, et je lui rendis la gentillesse aussi longtemps que mon regard ne croisait pas celui de Logan. Celui-ci, fier comme un coq, semblait presque s'attendre à se que je me ridiculise devant tout le monde.

Me voyant avancer vers les coulisses, Joe sembla comprendre puisqu'il indiqua à ses musiciens de se préparer et de venir me rejoindre. Lorsque les feux des projecteurs braquèrent vers moi, la salle se fit plus calme sans pour autant être absolument silencieuse. Un sourire aux quelques musiciens qui m'accompagnaient, un murmure pour leur indiquer la mélodie que je désirais qu'ils jouent et la musique emplis doucement l'atmosphère de la salle...



Pendant l'entièreté de la chanson, mon regard ne cessait de rechercher celui d'Andrew, s'y accrochant comme si je pouvais ne chanter que pour lui. Comme si je chantais uniquement pour lui. Ce n'est que lorsque j'ai commencé à m'avancer à nouveau vers ma table, sous les applaudissements des élèves qui pour beaucoup me découvraient cette qualité à pousser la chansonnette, que j'ai réalisé que si je n'avais d'yeux que pour Andrew, la proximité de Logan vis à vis de mon compagnon semblait avoir fait des ravages: le pauvre bougre me regardait comme si j'avais chanté pour lui.

Content demandais-je à Andrew, avant de m'asseoir à ses côtés et déposer un bref baiser sur ses lèvres. L'homme-enfant me fit "oui" de la tête comme si sa vie en dépendait.

Assise aux côtés du prof de théâtre, je passais un bras sur le dossier du coussin sur lequel il était assis et, le bras ainsi accoudé, je m'amusais à jouer avec une ou deux mèches d'Andrew, laissant le frisson qui ne manquait jamais de le parcourir faire sa magie le long de son échine. Il m'avait fait chanté (de la meilleure manière qui soit) et c'était maintenant à moi de mener le jeu. Croisant les jambes et m'appuyant dans mon siège, je me retournais pour faire face à Logan avant de finalement lui demander.

Alors, vraiment sûr qu'une averse tombe sur la ville en ce moment? dis-je en référence à sa première remarque.

Et j'ignorais si c'était la manière qu'il avait de m'observer, soit moi, soit Andrew et moi, ou bien son expression, ou alors tout autre chose que j'ignorais encore, mais je doutais que quoi qu'il s'apprêtait à dire ou faire, ça n'allait pas spécialement me plaire.

Quelle surprise....

Oui, je suis très attiré par Cheyenne, même si je ne dirais aucun mot là dessus. J'aime les femmes qui savent me tenir tête, probablement car j'ai toujours apprécié les grandes gueules dans le fond. Celle là n'a pas froid aux yeux, et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Quand elle a quelque chose à dire, elle n'hésite pas une seule seconde. Il paraît que j'intimide beaucoup de personnes. Je suis arrogant, mauvais, souvent froid. Du coup, on me fuit, on ne cherche pas à me contredire. Avec Cheyenne, c'est tout le contraire. Et c'est probablement une des raisons pour laquelle je continue de la faire tourner en bourrique et que je lui en fais voir de toutes les couleurs. Cela m'amuse beaucoup et j'aime la provoquer et pouvoir cerner l'endroit de ses limites. À côté de cela, j'apprécie beaucoup son côté mystérieux. Elle semble inaccessible et connaître des éléments de son passé paraît comme quelque chose d'une difficulté extrême. J'ai déjà dit que j'aime les défis ? Je ne connais pas cette jeune femme depuis longtemps, mais j'ai un certain don pour cerner les gens. Ainsi, je peux dire sans aucune hésitation que Cheyenne est le genre de personne secrète, qui se veut dure et sévère alors que dans le fond, elle reste sensible et réservée. J'en suis arrivé à un stade où je ferais tout pour connaître quelques brides de son passé, alors que d'habitude, je me fiche totalement de la vie des gens qui m'entourent. Ils ne m'intéressent pas. Avec Hutchinson, c'est différent. Trop différent pour me rendre insensible à elle. Pourquoi je craque toujours sur ce genre des femmes ? J'aime trop sa franchise, son côté têtu. J'aime le fait de connaître aussi bien son caractère, sa personnalité et savoir qu'au fond, j'ai encore tellement de choses à découvrir chez elle. Souriante. Tellement fière. Protectrice. Une sorte de Zorro au féminin. Loyale. Sur ses gardes. Et, je suis persuadé que quelque part, ça la frustrait de savoir que je connais autant de choses sur elle. Peut-être a-t-elle peur que je découvre ses secrets ? Quoi qu'il en soit, je ne me passe visiblement pas d'elle. Mon cœur loupe des battements en la voyant. Finalement, j'ai peut-être des sentiments pour elle... shit !

Avec Samuel, nous revenons à notre place, c'est à dire à la table où se trouve le couple. Je m'assois à côté d'Andrew qui ne m'observe pas d'un très bon œil. Dans le fond je m'en fiche. Il peut très bien criser, tirer une gueule de trois mètres de long, ça me fait une belle jambe. La seule personne qui m'intéresse, c'est Cheyenne. C'est la raison pour laquelle je pose mon regard noisette sur elle, avec mon air arrogant qu'elle ne connait que trop bien depuis mon arrivée à San Francisco. Puis c'est à son tour de se lever. Un de mes sourcils se arque. Quand je vous dis qu'elle offre encore de belles surprises, je ne mens pas. Elle a une très belle voix, et son talent pour le chant est bien plus important que je ne l'aurais cru. Je ne peux retenir un petit sourire en coin, comme si je baissais d'un coup, et pour un certain laps de temps, ma garde. Je n'ai pas ressenti des sentiments aussi forts pour quelqu'un depuis que j'ai connu Sasha, ma femme. Et je dois avouer que cela à le don de me troubler. Andrew comme moi semblons hypnotisés par cette femme. Elle regarde en ma direction en chantant, et je serais incapable de dire si elle adresse sa chanson à son petit ami, ou bien à moi. Ça me trouble encore plus...

« Alors, vraiment sûr qu'une averse tombe sur la ville en ce moment ? », me demande-t-elle avec arrogance alors qu'elle vient tout juste de s'installer de nouveau à notre table. Si elle savait à quel point la vue d'elle embrassant Andrew, ou bien jouant machinalement avec ses cheveux, comme deux personnes plus que complices, m'est insupportable, elle serait probablement choquée. Oui, choquée de savoir qu'elle ne me laisse pas indifférent. Je détourne un instant le regard. Je déteste voir cet homme presque sur le point de ronronner comme un vieux chat gras et baveux sous les caresses de son maître. Je lui aurais bien éclaté de la pâté sur son museau en admettant seulement que j'en ai sous la main. Bref... Je repose mon regard sur Cheyenne, avant de lui adresser ce petit sourire arrogant et sûr de moi. Elle devait savoir que j'allais lui lancer une remarque pas très plaisante. En fait, ça ne devait pas être la seule à le présager, car à peine j'eus entre ouvert les lèvres que les deux hommes se tournèrent vers moi pour m'observer avec mauvaiseté. Me sentant d'un coup dévisagé, je leur lançais un regard brutal. « Je n'ai pas compté toutes les fausses notes, j'ai du me boucher les oreilles au bout d'un moment. Je tiens à mes tympans... Déjà que de te voir martyriser ainsi ce pauvre micro fut très difficile pour mes yeux... »

C'était à se demander lequel défiait l'autre du regard... et de découvrir lequel de nous allait se montrer le plus buté dans son genre. Mais je ne m'inquiétais pas pour ça...

Je suis douée pour être butée...

La répartie qu'il offrit à ma réplique eut pour unique effet de faire presque grogner les deux autres hommes qui nous entouraient: Andrew dans un instinct de protection dont je n'avais nullement besoin et Samuel, dans une désapprobation nette de l'attitude de son frère. Cherchant à capturer du regard les yeux clairs d'Andrew pour attirer, je lui glissais quelques mots à l'oreille, le sentant nettement se détendre avant de me répondre à son tour dans un chuchotis. Je ris. Parce qu'il était doué comme ça. Parce que je ne pouvais rien faire d'autre que me délecter de sa présence, avant de soudainement me souvenir que Logan se trouvait face à moi, peut-être à s'imaginer être la raison de ce petit rire comme si nous nous foutions de lui. Rien n'aurait pu être plus loin de la vérité, mais je n'avais aucune raison de me déranger à lui dire cela. Au lieu de quoi, je lui offris un regard taquin, léger, ne tombant pas proie à ce qu'il avait tenté de me dire mais au contraire, déplorant presque qu'il ait pu me répliquer cette phrase des plus classiques. Un gosse de 9 ans aurait mieux fait... Et moi, au plus ça durait, au plus j'étais partagée entre la lassitude et l'impatience.

Une réponse pareille, dans le contexte qui nous intéressait à cet instant précis et dite du ton qu'il avait utilisé... à quoi vous attendiez vous d'autre comme réaction si ce n'est un soupir presque ennuyé. Je faisais mine de lui accorder un coup d'œil las et si mes yeux pouvaient répondre à ma place, ils diraient sûrement quelque chose du goût "vraiment? tu n'as rien trouvé de mieux à dire?". Logan était de ces hommes qui avaient l'habitude que les femmes leur tombent aux pieds, et je me faisais un malin plaisir d'être l'exception à la règle. Peut-être était-ce ce qui semblait le convaincre de continuer, comme s'il espérait qu'un jour je me lasserais de ses piques et que je me me laisserais aller à tout ce qu'il voulait de moi. Grossière erreur, parce qu'une attitude pareille ne pouvait que me maintenir alerte... et si au passage, ça le rendais dingue, je ne voyais pas en quoi ça devait me poser le moindre souci.

Un garçon de table s'approcha de nous et je me penchais doucement en arrière pour pouvoir apercevoir le patron derrière le bar, un peu plus loin. Je lui fis un signe de la main pour le remercier de nous avoir envoyé ce serveur, alors que le club était plein assez pour ne pas pouvoir se permettre normalement de ne concentrer un garçon que sur une table bien précise...

Et bien, il semblerait que connaître le patron a ses quelques avantages, dis-je en riant de bon coeur avant de me tourner vers le serveur, mais pour moi, ça ne sera qu'un simple verre d'eau pétillante, s'il vous plaît? Les garçons..? demandais-je à la clique qui m'entourai, les invitant à passer commande à leur tour.

Andrew me fit un petit sourire, sûrement désolé que je ne puisse me prendre quoique ce soit de plus fort lors d'une soirée pareille, mais probablement ravi qu'il n'ait pas à me le rappeler non plus. Il passa son bras par dessus mes épaules pour m'enfermer dans son étreinte, et je me laissais tomber pour me nicher contre son épaule tout en riant à une blague qu'il venait de me raconter alors que le garçon repartait pour aller chercher notre commande.

Vous avez répété longtemps pour votre petit numéro, ou alors c'était improvisé?, demandais-je aux frères Salaun, d'un ton entrelacé de curiosité. Je n'aurais absolument pas imaginé ça de toi, Logan. Ou même de toi, Samuel... Je suis impressionnée, ça m'a bien fait rire, dis-je doucement et aussi surpris que ça puisse rendre Logan, avec sincérité.

Je n'étais pas une garce, non plus et si le petit show qu'ils avaient fait était probablement le dernier que je verrais jamais de Samuel si j'en jugeais par le rougissement violent qui colorait ses joues malgré l'obscurité de la salle, ou que Logan était un a$$ complet depuis que je le connaissais, je pouvais quand même féliciter sur le bon moment que le sketch m'avait fait passer. Déplaçant mon regard vers Logan, je m'attendais à ce qu'il soit surpris du compliment, mais pas forcément qu'il y réagisse bien... Soit il trouverait un moyen de minimiser le tout, soit il réagirait avec venin à ce que j'avais dit, ou je ne sais quoi d'autre, mais je savais qu'il ne pourrait rester silencieux.

C'était tout moi de ne savoir tenir rancune envers quelqu'un bien longtemps, mais c'était tout lui de pouvoir ressortir la hache de guerre à la moindre occasion.

« Et bien, il semblerait que connaître le patron a ses quelques avantages. » Je levais les yeux au plafond. Ses avantages, c'est surtout d'être attirante, charmante et adorable. En somme, d'être le genre de femmes qui attirent les hommes comme du miel attirerait des tonnes d'abeilles. J'aurais presque pu comprendre la jalousie d'Andrew. Il n'y avait qu'à regarder autour de nous, combien de « mâles » tentaient de capter le regard de Cheyenne, ne serait-ce que pour lui adresser un sourire. Et ce patron alors, qui essayait désespérement d'accrocher sa sympathie en lui envoyant un serveur sous ses ordres. Serveur, qui également, posait un regard intéressé sur la jeune femme. Mais bon Dieu ! Il y a plein de femmes attirantes ici, pourquoi s'arrêtent-ils tous sur elle en particulier ? Et, Andrew comme moi, semblions au taquet pour lancer des regards noirs aux hommes qui se montraient trop avenants et si peu discrets avec leurs sourires d'une niaiserie à toute épreuve. C'en devenait désespérant...

Je laissais les deux à côté de moi commander après Cheyenne. Finalement le serveur se tourna vers moi et probablement je n'inspirais pas sa confiance, car il détourna bien vite les yeux. « Un whisky s'il vous plaît. » Oui, tout de même quelques signes de politesse. Et alors que je tentais presque un sourire vers le jeune homme qui repartait avec la liste des boissons à apporter ici, mon visage se referma bien vite à la bonne humeur en entendant Hutchinson glousser à l'entente d'une blague de son crétin de petit ami. Non mais sincèrement, il avait un petit bouquin sous la table et récitait les blagues à l'oreille de sa bien aimée, en partant dans l'esprit que « femme qui rit, femme à bientôt dans ton lit » ? Ça devenait presque insupportable comme spectacle, et Samuel comprit bien mon énervement, car il m'observa avec une certaine compréhension et une mine désolée. Pourquoi me regarde-t-il ainsi ? Cela se voit tant que ça que je suis en proie à une grande jalousie actuellement ? Et merde !

Puis Cheyenne détourna un peu son attention de son Roméo. Il était temps. Je supporte difficilement les couples qui étalent ainsi leur bonheur, qui ne peuvent pas s'empêcher de s'embrasser toutes les deux minutes, ou pire encore, d'arrêter un contact physique au moins une fois dans la soirée. Comme si le simple fait qu'ils ne se touchent pas, ne serait-ce que deux secondes, allait le mener à une mort certaine. Imaginez donc la torture lorsqu'en plus, la femme qui agit comme ça, c'est celle qui vous plaît. Pourquoi Samuel a-t-il voulu venir ici, à cette table ? J'aurais été plus à l'aise dans les toilettes, j'en suis sûr ! « Je n'aurais absolument pas imaginé ça de toi, Logan. Ou même de toi, Samuel... Je suis impressionnée, ça m'a bien fait rire. » Je fronçais légèrement les sourcils. C'est nouveau les compliments ? Je laissais mon frère aîné lui expliquer que ce n'était que pure improvisation, et que nous étions assez doué. Il avoua même que par ailleurs, j'avais été un comédien reconnu en France, avant de m'engager dans l'armée française pendant une bonne décennie. Et cette évocation poussa le regard d'Andrew et le mien à se trouver à nouveau. L'un comme l'autre, nous semblions vouloir oublier cette période de notre vie, même si elle fut marquée par notre rencontre. Le serveur revint avec les verres, et les posa sur notre table. Pour ma part je gardais le silence, évitant le regard de Cheyenne. Mes yeux se perdirent dans mon whisky, alors que les glaçons ressortaient de la liqueur.

Samuel semblait fier d'évoquer le fait que je fus connu en France pour avoir jouer dans des pièces de théâtre, fait des one man show, etc... dans des endroits prisés de Paris ou autres grandes villes. « N'est-ce pas Logan ? », me lança-t-il alors qu'il voyait bien que je restais étrangement silencieux face à cette partie là de ma vie. Je levais donc les yeux vers lui, et croisais rapidement celui de Cheyenne, qui semblait fort surprise également que je n'ai pas encore ouvert les lèvres pour l'asséner d'une remarque agaçante. Si c'est ce qu'elle attendait... « Faut croire que j'ai gardé un peu de mon talent alors, ce n'est pas le cas de tout le monde. » Bien sûr, la jeune femme pouvait le prendre pour elle. Je ne le pensais pas, mais je ne voulais pas faire faux bond à mon image de marque qu'était mon arrogance. Surtout qu'elle semblait crever d'envie de me rembarrer sur le moment. Mes yeux se reposèrent sur Andrew qui offrait de nouveau un peu de tendresse à Cheyenne.

C'était trop pour moi. Et finalement je me levais. « J'vais fumer. », lançais-je à l'intention de Samuel, avant de quitter précipitamment la table pour sortir dehors, apparemment agacé, ou bien blessé à vif. Il ne fallait par ailleurs pas être devin pour comprendre que je ne reviendrais pas bien vite. D'une part, je ne supporte pas voir la femme qui me plaît, jouer les amoureuses transie avec son niais de petit ami. D'autre part, je n'aime pas attirer l'attention sur moi avec mon passé, et surtout que l'on évoque des passages difficiles de ma vie. Je me retrouvais donc à l'extérieur, m'asseyais sur une marche, et m'allumais une cigarette, n'imaginant pas une seule seconde que je sèmerais le silence le plus total à la table, face à mon comportement soudain.

Franchement, c'était à n'y plus rien comprendre. Il avait toujours été dans ma façon d'être de ne pas forcer un conflit perpétuel, surtout lorsqu'il était question de passer une agréable soirée en compagnie d'amis -Logan comptant exceptionnellement dans le lot, pour cette fois. C'était lassant de toujours se faire la guerre à tout bout de champs, aussi j'espérais que nous pourrions au moins passer outre notre différend pendant quelques heures. Apparemment Logan n'en avait pas trop trop envie, ou au moins ne semblait pas se détendre autant qu'une agréable soirée semblait l'engager.

Le fait que je tente d'engager la conversation sur un "terrain neutre" (à savoir: ses capacités à occuper une scène sans se devenir l'abruti de service se ridiculisant devant tous, dans le sens péjoratif du terme) ne fit rien pour arranger les choses: Samuel mentionna le pourquoi du talent et les origines, me permettant ainsi un coup d'oeil dans le passé de Logan que je doutais qu'il fut confortable à l'idée de partager. La simple mention de l'armée semblait le mettre mal à l'aise et cet état des choses fut au moins partagé par Andrew, que je sentis mouvoir discrètement comme s'il trouvait soudainement sa position des plus inadéquate. Il se tendit brusquement et si je n'avais pas croisé l'échange de regards que les deux hommes échangèrent, j'aurais pu penser qu'il avait fixé son regard clair sur la table comme si elle était soudainement la chose la plus intéressante au monde. Le serveur prit les commandes et revint peu de temps après avec nos demandes, déposant un whisky des plus captivants devant Logan. Décidément, un froid s'était clairement installé sur notre table et je n'étais pas certaine que cela soit profitable à une bonne soirée. M'avançant doucement vers la table pour pouvoir prendre possession de mon verre, Andrew tendit un billet au garçon de table pour payer nos consommations. Samuel continuait à parler de son passé, Holden s'intéressa attentivement à la scène où se produisait une mini troupe improvisée incluant plusieurs étudiants de son cours, et Logan garder sombrement le nez dans sa boisson. Lorsque son frère l'interpella au bout de cinq minutes de descriptions détaillées du passé de scène des Salaun, il rétorqua d'un ton acide, flashant ses yeux un très bref instant dans ma direction avant de se concentrer sur n'importe quel point autre que moi. Devais-je prendre ce qu'il venait de dire pour moi? Peut-être; nous parlions de Logan, après tout.. Mais je préférais ne rien en faire, au lieu de quoi je tournais le regard vers le pauvre étudiant qui semblait se faire pousser par son clan d'amis -ou de jeunes qui se considéraient comme tels- et qui écorchait visiblement l'un des plus fameux tubes de Michael Jackson par sa voix graveleuse et son air faux.

C'est vrai que dans le genre "succès de l'année", certains ont de quoi retravailler, dis-je en m'accoudant brièvement pour me détourner légèrement d'Andrew et de hocher la tête en direction du pauvre bougre qui nous déchirait les oreilles.

Un sourire. Une légèreté dans la voix. Une bonne humeur naturelle. Je pense que rien qu'il ne puisse dire en ce moment serait en mesure de me détourner du but de la soirée: passer un bon moment. Bien sûr, ce n'était pas le cas de tout le monde et je sentais bien qu'Andrew à côté de moi se doutait de la personne presque visée par la remarque cinglante de Logan. Et il agissait en conséquence: en petit ami ultra-protecteur, comme à son habitude. Croisant le regard de celui qui devenait un petit peu plus tous les jours ma nemesis, mon souffle se fit plus laborieux, comme si j'insistais pour rester calme et détachée. Quand il était question de ce que Logan inspirait chez moi, c'était toujours une montagne russe de sentiments, allant du calme et détaché à l'agacé et désireux de l'affronter dans une joute verbale. Je restais déterminée à ne pas attiser le feu qui menaçait d'embraser l'ambiance, aussi les mots que je mourrais de lui lancer en réponse à l'attitude arrogante qu'il arborait restait coincés sur le bout de ma langue... Jusqu'à ce qu'Andrew ne pose sa main sur la mienne, dans un geste salvateur destiné autant à se maintenir calme qu'à me rappeler qu'il était inutile de m'emporter.

Logan n'avait pas cette ancre qui le gardait les pieds sur terre, et alors qu'il se levait en précipitation en annonçant sortir pour aller fumer, il laissa dans son sillage le silence estomaqué de nous trois qui nous demandions à quoi était dû le départ en catastrophe. Il suffisait de l'observer fendre la foule d'étudiants et autres adultes pour comprendre qu'il n'était apparemment pas d'humeur; Samuel sembla sur le point de se lever pour le suivre et aller voir ce qui n'allait pas, mais je l'arrêtais d'un geste.

Laisse, je m'en occupe, dis-je avant d'ingérer une nouvelle gorgée de mon verre, le déposer sur la table avant de déposer un bisou furtif sur la joue de mon petit ami.

Il n'y avait aucun doute qu'Andrew se montrait inquiet, mais ce n'était pas comme si Logan était d'un naturel violent non plus... enfin, pas trop. Mais je me doutais de ce qui avait causé le départ en fanfare, même si je ne m'avancerais jamais à prétendre savoir ce qui se passait dans la tête de Logan. Je doute que quoique j'y trouve, cela me plaise.

Je le trouvais à l'extérieur, à quelques mètres de l'entrée principale mais assis sur les marches de ce qui semblait être une entrée secondaire, sûrement pour le personnel ou pour les livraisons. La rue était calme, la soirée était fraîche, seul un chat miaula avec fureur quelque part sur les toits en donnant ainsi vie à l'un des clichés les plus populaires lorsqu'on pensait à "ruelle, au milieu de la nuit". Je comptais sur ma bonne étoile, ce soir, parce que les relents de fumée qu'il exhalait se retrouvaient poussés par le vent dans la direction qui m'opposait, me permettant ainsi à ne pas souffrir de l'odeur. Surtout que mes sens se faisant de plus en plus aiguisés, je doutais que j'aurais pu rester calme si j'avais eu de quoi me rendre malade juste parce qu'il se tenait là; il ne manquait plus qu'il exhale "exprès" dans ma direction juste pour m'agacer et ça aurait été le pompon. Ce n'est pas comme si je ne l'avais pas cherché, à me décider à le suivre dehors et à risquer de m'en prendre un peu plus ce soir que ce qui n'était déjà.

Quelque chose dans sa manière d'être m'indiqua qu'il était conscient que je me trouvais à ses côtés: l'homme avait l'armée, que diable. Je pense que ses instincts l'ont avertis de ma venue avant même que je ne pousse la porte pour arriver dehors. Mais encore, que pouvais-je dire? Croisant les bras dans un espoir vain de ne pas permettre au vent de mordre ma peau avec sa fraîcheur, je passais en revue comment briser la glace, en sachant que quoi que je dise, ça n'allait pas être bien pris. "Est-ce que ça va?" semblait trop banal. "Il y a un problème?" semblait vraiment être le genre de truc que je pourrais dire si je voulais me foutre de lui. Peut-être voulait-il seulement une cigarette, même si son attitude en nous laissant ne laissait rien présager de tel.

Ce n'est que lorsqu'il réagit, alors que je me demandais encore quoi lui demander, que je ne m'interrogeais encore si je n'avais pas formulé l'une de mes questions à voix haute. Ou alors s'imaginait-il peut-être que j'étais là pour me moquer de lui, pour le perturber un petit peu plus. Vu notre relation, pourquoi en penserait-il autrement? Me montrer sincèrement soucieuse pourrait s'avérer des plus narquois, bien que c'était exactement l'état d'esprit qui me possédait en ce moment.

Mais allez faire comprendre ça à Logan.

Nul doute que quelque soit le souci qui me traversait l'esprit en ce moment, toutes les meilleures intentions du monde allaient voler en éclat dès l'instant où il se poserait sur la défensive, et ce que je voulais calme allait sûrement se transformer à nouveau en joute. Comme d'habitude...

A moins qu'il ne se décide vraiment de m'étonner.

La cigarette. Tellement nocive et tellement bonne à la fois. Elle me permettait de me relaxer, de me détendre. Et, pour un grand nerveux continuellement énervé comme moi, ça semblait plus que nécessaire. Le silence autour de moi, je pus entendre le tabac se consumer lorsque je tirais sur le clope, tout en laissant l'extrémité de cette dernière arborer une lueur étincelante. Je gardais un moment la fumée à l'intérieur de moi, avant de la souffler lentement en une longue traînée grisâtre sortant de mes lèvres, puis en deux volutes alors qu'elle s'évacuait à présent par mes narines. C'était un moment pour me retrouver tout seul, sombrer dans mes pensées, fixer mon esprit sur ce qu'il s'est passé, et tenter de décompressé. Je reprenais une bouffée et recommençais mon manège.

Mais bien rapidement, j'entendis quelqu'un s'approcher de moi. Il faut dire que j'ai l'ouïe très fine et je sens avec facilité la présence d'une personne non loin de mon corps. Je fronce légèrement les sourcils. J'aurais très bien pu tourner directement la tête, mais je trouvais plus amusant de deviner qui cela pouvait bien être. Pas un inconnu déjà, sinon, il aurait pris l'autre sortie, ou m'aurait déjà dépassé. Samuel peut-être ? Non, il serait déjà venu s'asseoir à côté de moi pour me demander comment j'allais. Andrew ? Non plus. Il ne prendrait jamais la peine de faire le premier pas vers moi, encore moins depuis qu'il sait que je suis tombé sous le charme de la femme qu'il aime, qui plus est la mère de son futur enfant. Mon choix se porta donc sur Cheyenne. Je pouvais tout expliquer. Le silence, car elle ne sait définitivement pas comment aborder un sujet de discussion avec moi sans que ça ne termine une fois de plus en joute verbale. La proximité se traduirait par le fait qu'elle soit enceinte, et qu'elle ne souhaite donc pas être victime de la fumée de cigarette. Mh... Je tirais donc une dernière fois sur ma clope, et la jetais un peu plus loin, alors qu'elle était à peine entamée. La raison ? Je n'avais pas envie que la jeune femme soit en présence des volutes grisâtres du tabac consumé, tout comme je ne voulais pas que le bébé en soit victime. Oui, une réaction drôlement humaine et presque incompréhensible venant de ma part, notamment vis à vis de Cheyenne.

« Tu ne devrais pas rester dehors, tu vas attraper froid. Et je suis sûr que le bébé n'apprécierait pas ça. », lui lançais-je tout en lui prouvant par la même occasion que même sans avoir posé mon regard sur elle, j'avais connaissance de sa présence et ce, même sans décrocher le moindre mot. Enfin je tournais la tête vers elle. Mon regard perçant se posa sur sa personne l'espace de quelques secondes. Je respirais l'arrogance, ainsi qu'une certaine jalousie. Mes yeux marrons firent de nouveau le chemin juste en face de moi. Je levais un instant le menton, afin de contempler le ciel. Et, malgré la couche de pollution, je fus surpris de pouvoir distinguer quelques étoiles par ci, par là. Mais ça n'avait définitivement rien à voir avec les spectacles étoilés dont j'étais le spectateur, le soir, durant mon séjour dans l'armée de terre française. Je devenais de nouveau silencieux. Les jambes légèrement écartées, les coudes posés sur la marche juste au dessus de celle où j'avais posé mes fesses, j'étais dans une bonne position pour admirer le ciel. « Qu'est-ce que tu veux ? », lui demandais-je finalement de ma voix rauque qu'on dit souvent chaleureuse. Et pourtant, j'usais d'arrogance.

Je lui avais lancé cette question sur un ton déplacé, sonnant comme un reproche. Que voulait-elle exactement ? Davantage m'enfoncer ? Ou bien jouer l'héroïne qui souhaite venir en aide au pauvre petit chiot blessé et abandonné que je suis ? Ces deux hypothèses ne me plaisaient guère.

On survivra.. répondis-je à sa remarque. Je sais que je ne devais pas tenter le diable, mais la soirée, bien que fraîche, n'était pas si froide que ça et ça permettait un bol d'air frais en comparaison à l'atmosphère lourde qui inondait le club. J'allais me porter à merveille, ce n'était pas dix minutes dehors qui allait me mettre dans tous mes états non plus ou mettre en danger mon enfant. Je me sentais en revanche reconnaissante qu'il gâche une cigarette presque entière pour m'éviter l'inconfort d'avoir à subir la fumée de tabac. Il laissa son regard voguer de ma direction avant de le plonger dans le ciel étoilé, comme s'il se laissait aller à rêvasser devant cette infinité plutôt que de me parler. Je ne m'en offusquais pas, je commençais à avoir l'habitude de sa façon d'être et de cette fierté boostée à la testostérone qui lui était si caractéristique.

Moi, je l'observais comme un mystère, un puzzle que je ne parvenais à déchiffrer tant les facettes et les pièces étaient multiples et diversifiées. Il passait son temps à m'exaspérer comme aucun autre homme n'avait su m'exaspérer: avec violence et ressentiment. Chacune de ses paroles ne méritaient à mes yeux que je ne lui réponde sur le même ton hargneux, ce qui avait de quoi nous lancer dans des joutes verbales d'une intensité telle que je n'en avais que rarement connue: j'ai toujours été le genre à relativiser avant de foncer tête baissée, mais avec Logan c'est comme si toute prudence était jetée à la fenêtre et que je m'engageais dans le conflit avec un plaisir malsain juste pour lui prouver que j'étais en mesure de lui tenir tête et que je n'étais pas comme toutes les petites minettes qui ronronnaient sous la caresse assez longtemps pour le satisfaire avant qu'il ne se désintéresse et aille voir ailleurs.

Il me cracha une question de sa voix rauque, ne se souciant même pas de dissimuler la feinte hargne de sa voix alors qu'il semblait presque m'en vouloir d'être là. J'avais besoin de prendre l'air..., dis-je automatiquement. Les étudiants en chaleur, la bonne humeur, les rires, la musique forte, tout ça avait de quoi donner envie à n'importe qui de sortir un peu et reprendre une goulée d'air frais avant de retourner souffrir de l'ambiance à l'intérieur... Quelque chose dans sa façon d'être me fit comprendre qu'il ne me croyait pas autant que je le voulais et je me fustigeais mentalement de la stupidité de la réponse que je lui avais offert. Préférant me fier à l'honnêteté plutôt qu'à tout autre subterfuge, je haussais les épaules avant de faire quelques pas dans sa direction, les bras toujours croisés, le visage baissé pour garder un oeil sur sa silhouette étalée sur quelques marches... Je ne sais pas trop... J'étais une personne qui fonctionnait énormément à l'instinct et sur le long terme, les conflits m'agaçaient autant que n'importe quoi d'autre. ... comprendre, peut-être? dis-je en répondant finalement à son désir de savoir ce que je voulais. Comprendre ce dont je doutais n'avais pas à être compris. Comprendre son attitude ou même le pourquoi de sa façon d'être toute cette soirée, comme si j'avais passé mon temps à lui planter un couteau dans le cœur, comme une version moderne de l'aigle du Caucase qui lui infligeait jour après jour le même supplice.

Je doutais fortement qu'il ne reconnaisse ma curiosité, mais l'abcès avait besoin d'être percé et je voulais finalement l'entendre dire pourquoi il s'agitait autant à chaque fois qu'Andrew agissait de manière légitime comme le boyfriend qu'il était. J'avais entendu des rumeurs, je m'étais laissé entendre dire que Logan agissait avec jalousie parce qu'il éprouvait quelque chose pour moi, que ça ne soit qu'un vulgaire désir charnel ou alors quelque chose de si peu caractéristique de ce coeur de pierre: des sentiments. Je ne savais pas exactement ce qu'il se passait dans sa tête et je voulais affronter ça une bonne fois pour toute pour mettre les choses à plat et lui faire comprendre ce qui devait l'être.

Je ne réalisais que trop tard à quel point je me montrais maladroite vis à vis de tout ça, lorsque sa réaction me surprit. Je réfléchissais trop...

Je ne comprenais pas la raison de sa présence ici. Faisais-je si pitié qu'elle s'était sentie obligée de sortir afin de me demander ce qui n'allait pas ? Probablement oui... Et je n'avais pu m'empêcher de lui poser la question sur un ton arrogant et doublé d'une agressivité certaine. Question à laquelle elle répondit un simple : « J'avais besoin de prendre l'air... » qui me fit échapper un sourire nerveux, bien loin de la bonne humeur que l'on pourrait connaître à n'importe quel être humain dit ''normal''. La façon dont je tournais la tête vers elle pour croiser son regard signifiait clairement, dans le plus grand des silences néanmoins : « Ne me prends pas pour un con. ». Une réponse stupide qui ne lui ressemblait pas vraiment. C'est comme si elle souhaitait tourner autour du pot, le temps de trouver les mots juste pour me demander ce qui n'allait pas chez moi. Tellement de chose. Elle la première.

Et face à mon nouveau silence, elle dû comprendre que je l'intimais de me dire la véritable raison de sa présence ici. Mon regard se reporta sur des points juste en face de moi. Mon côté observateur. Des gens passaient. Certains plus ivres que d'autres. J'aurais été dans la capacité de deviner les grandes lignes de leur vie, juste en me concentrant sur leur façon d'être, leur démarche, leurs vêtements. Mais ça ne pouvait être le cas maintenant, dans la mesure où j'entendais également Cheyenne s'approcher de moi, sans pour autant prendre la peine de s'asseoir sur une des marches. Je m'attendais à de longues minutes de silence. Quelle ne fut pas ma surprise. « Je ne sais pas trop... comprendre, peut-être ? » Mes sourcils se froncèrent un peu plus. Désormais, même le visage reposé, même la nuit, quand je dors, on peut encore contempler ma ride du lion plus ou moins creusée. Une marque personnelle maintenant. Ma marque de fabrication.

Je ressentais beaucoup de curiosité dans sa voix. L'ignorait-elle vraiment ? Ça semblait pourtant logique, évident même. Soit elle a réellement fermé les yeux sur les sentiments que j'éprouve pour elle. Soit elle se plaît à me demander de tout lui avouer de vive voix, juste pour son propre petit plaisir personnel ou je ne sais trop quoi encore. Quoi qu'il en soit, je demeurais un instant silencieux. J'avais du mal à concevoir le fait qu'elle n'ai rien vu, qu'elle n'ai pas fait le rapprochement entre ma sortie précipitée du club et mes réticences quand à voir Andrew lui lécher la poire toutes les cinq minutes. Et là, d'un coup, sans que je n'arrive à contrôler mes paroles, tout sortait, sans prévenir. Je me levais, de façon à être davantage à sa hauteur, voir plus grand qu'elle.

« Tu veux comprendre ? Ne fais pas ton innocente... » Les sourcils froncés, je l'observais dans les yeux. Jamais je n'aurais pensé le lui dire, jamais je n'aurais pensé exprimer cela à voix haute, face à n'importe qui. « J'ai des sentiments pour toi, j'aime nos engueulades, ta façon de ne pas te laisser marcher sur les pieds. J'aime tellement de choses quand tu es là, sauf voir ton petit ami jouer les amoureux transis. » Mon cœur loupa un battement, et repartit de plus belle. Je sentais mes veines battre, alors que je bouillonnais de l'intérieur. Voilà, tout était dit. « Et ne va pas me faire croire que tu n'étais pas au courant. Tout le monde l'est. Andrew, Samuel, les étudiants, les professeurs. » Je m'approchais d'elle, non sans la quitter une seule seconde des yeux. Je venais de déblatérer toutes ses paroles sur ce ton agressif qui m'est si connu. À présent je me montrais plus calme. Je me contentais de la contempler, alors que mon visage redevenait doux, ce que je ne lui avais jamais donné encore l'occasion de voir. « Mais ne t'inquiète pas, je n'attends rien de toi. Tu as Andrew et j'en suis conscient. Alors épargne moi toutes réponses de ce genre. Je n'ai pas besoin de les entendre. »