Mission reconnaissance [Samuel]

Invité

Après le week-end qu'il avait passé à New York avec Lucie, Alcide avait pris une décision. Pour lui, il était très important, voire primordial, d'officialiser en quelque sorte sa relation avec la jeune fille. Il avait téléphoné à sa soeur et lui avait tout expliqué. Le conseil de Gwendoline avait été on ne peut plus clair : "Al, si tu as décidé d'être sérieux avec cette fille, tu dois en parler à son père. Surtout si c'est un de tes amis". Mouais. Plus facile à dire qu'à faire, en réalité.
Lors du séjour à New York, van Stexhe s'était senti tellement bien avec la jeune femme qu'il avait l'impression d'être... oui, d'être amoureux. Lui qui n'avait jamais vraiment laissé ce type de sentiments l'envahir depuis des années avait fini piégé par l'attrape-coeur qu'était Lucie Salaun. Enfin, "piégé"... pas vraiment... comme il l'avait pensé le premier soir à New York, on ne peut tomber amoureux qu'au moment où on a décidé de changer. Avait-il décidé inconsciemment qu'il était temps qu'il cesse de se comporter comme un Don Juan ? Son horloge biologique avait peut-être décidé pour lui, en fait.

Après tout, l'homme avait beau retourner la question dans tous les sens, il lui semblait que sa soeur avait raison. La voix de la sagesse, cette Gwendoline, assurément.

Le samedi qui avait suivi le week-end à New York - soit quatre semaines après que Lucie et Alcide aient commencé à se voir en d'autres circonstances que les rencontres avec Samuel -, van Stexhe s'était réveillé avec une idée fixe. Samuel devait savoir. Il fallait lui dire. Obnubilé par cette pensée, Alcide avait passé la matinée à tourner en rond chez lui, imaginant toutes les situations possibles. Il s'imaginait dire à Samuel qu'il aimait Lucie... et il imaginait Samuel lui casser le nez d'un coup de poing bien senti. Il se voyait lui dire "Lucie va emménager chez moi, ça fait un mois qu'on est ensemble"... et il voyait Samuel lui casser le nez d'un coup de poing bien placé. Il passa en revue toute une série de scenarii et jamais il ne parvenait à trouver d'autre fin à la scène.
Mais peut-être se faisait-il simplement des idées. Peut-être que Samuel se contenterait de lui coller un beau coquard et ne toucherait pas à son nez, après tout...

Et puis, finalement, van Stexhe se décida. Passant une veste légère, il fouilla dans sa cuisine pour trouver une boîte de chocolats, histoire de ne pas arriver les mains vides, et il se rendit chez Samuel, au volant de son Audi que Lucie trouvait tellement confortable. Sur la route, il se rendit compte que le parfum de la jeune fille était encore perceptible dans l'habitacle de son véhicule. Un parfum doux et léger que l'homme associait maintenant systématiquement à de bons moments.
Quand il arriva, Alcide avait le sourire aux lèvres, conséquence non négligeable du parfum de la jeune fille. Il sortit de sa voiture, qu'il avait garée non loin de la demeure de son ami, puis, sa boîte de chocolats à la main, il se dirigea vers la porte d'entrée, non sans avoir verrouillé sa voiture d'un bip-bip sonore suivant une pression sur sa clef.

Et là, une fois devant la porte, l'homme hésita. Qu'allait-il dire à Samuel ? Ce n'était certainement pas le moment de venir l'embêter avec tout ça... il avait d'autres soucis en ce moment. Comme tous les professeurs de Berkeley, Alcide savait que Samuel avait été écarté. Enfin, viré, pour être tout à fait clair. Mais la raison de ce licenciement était tout à fait obscure. Van Stexhe n'avait pas cherché à creuser du côté de Maria, il n'avait pas non plus essayé de savoir le fin mot de l'histoire de la bouche de Lucie ni même du principal concerné. Individualisme ? Non, pas tout à fait. Al considérait que Samuel en parlerait s'il en ressentait le besoin. Interroger quelqu'un à propos d'une tragédie ou d'un drame, c'était parfois le meilleur moyen d'enfoncer cette personne dans un cercle infernal où tout ne tournait plus qu'autour d'un seul et même sujet.
Il valait sans doute mieux venir ici avec de bons sentiments et aucune intention de révéler la relation qui liait Alcide à la fille de son ami. Les chocolats, ça passerait comme un cadeau apporté lors d'une visite de courtoisie. Pas un mot à propos d'eux, l'urgence, c'était Samuel.

Du bout de l'index, Alcide appuya sur la sonnette, gardant son sourire pour la circonstance. Au fond de lui, il espérait un peu que Lucie serait là... mais une petite voix lui soufflait que ce ne serait alors pas facile de rester soi-même et de garder la tête froide...

Invité

Tu veux boire quelque chose ?

Invité

Les pensées se bousculaient dans la tête d'Alcide. Il se disait surtout, à présent, que comme ami, il n'était pas très bon. Depuis quand n'avait-il pas vu Samuel ? Elle datait de quelque temps déjà, la pendaison de crémaillère... Avec tout ce qui était arrivé ces derniers temps, van Stexhe n'avait tout simplement pas eu l'occasion de penser beaucoup à d'autres personnes que Lucie et lui. Oui, l'amour, ça rend les gens égoïstes, d'une certaine manière. Le monde peut bien s'écrouler, on s'en fout, du moment qu'on peut serrer l'autre contre soi...
Il avait merdé, sur ce coup-là. Alors qu'il considérait Samuel comme un excellent ami, il l'avait quasiment laissé tomber... ou en tout cas, il l'avait laissé dans la merde. Peut-être parce qu'Al ne savait pas trop comment s'y prendre maintenant que les choses avaient changé avec Lucie. Il se voyait mal rester avec Sam comme avant, tout en sachant que ce mec-là allait peut-être devenir son beau-père ou un truc du genre. Non, il ne fallait pas exagérer, on était loin de cela, tout de même.

Quand la porte de la demeure s'ouvrit sur un Samuel aux sourcils froncés et à la mâchoire délicatement bleutée, van Stexhe fit une drôle de grimace, pinçant les lèvres en un mouvement qui lui avait toujours fait penser qu'en faisant ça, il avait une tête à la Mickey Mouse... allez savoir pourquoi. Invité à entrer, Al offrit à Salaun les chocolats qu'il avait apportés. Il n'aimait pas arriver les mains vides, c'était comme ça. Et puis, des pralines Leonidas, ça ne se refusait pas. Et ça se dégustait en toutes circonstances.

"Salut... Tiens, désolé de passer comme ça, le matin, à l'improviste... mais j'ai pris la décision un peu à l'improviste également..."

Analysant rapidement Salaun, van Stexhe tira quelques conclusions. Les cheveux encore un peu humides. Il venait de se laver. Donc s'était levé il y a peu de temps. Le bleu sur la mâchoire... une chute ? une maladresse ? ou un combat qui avait mal tourné... L'absence de salutation, ça n'était en rien symptomatique de quoi que ce soit. Ce qui était le plus interpelant, c'était le regard de Samuel. D'habitude, il y avait toujours une petite lueur au fond de ces yeux bleus... et là, le bleu était plus gris, un peu terne... et aucune étincelle ne brillait. Déprime, sans doute.

"Si tu as du café, j'en prendrai bien une tasse... Noir et sans sucre."

Il devait bien être dix heures passées. Sam avait dû faire la grasse matinée... ou alors il avait si mal dormi qu'il avait essayé jusqu'aux petites heures de trouver le sommeil. Gosh, Alcide se sentait coupable de l'état dans lequel il découvrait Salaun ce matin. En pareilles circonstances, un ami devait être présent, actif, réactif et surtout disponible...

Suivant Sam dans la maison, Alcide remarqua que le tableau qu'il lui avait offert lors de la pendaison de crémaillère était accroché à un mur, assez en évidence. Et son sentiment de culpabilité n'en fut pas arrangé. A la place de Salaun, Alcide aurait décroché ce tableau en se rendant compte que celui qui se disait son ami était si absent de sa vie depuis un moment. Il faut croire que Samuel avait une autre approche des choses.

Invité

Assieds-toi, je t’en pris.

Comment vas-tu depuis le temps ?

Invité

Sur la table de la cuisine s’étalait une quantité assez impressionnante de nourriture. Alcide se contentait toujours du strict nécessaire, sauf quand il préparait le petit-déjeuner pour deux personnes… alors, voir du pain, des viennoiseries, différentes sortes de confitures, etc. c’était comme de regarder un buffet dans un Ferry. Vous savez, quand vous prenez le bateau pour traverser la Manche, de nuit, et que vous avez accès à des buffets immenses qui vous proposent les petits-déjeuners « du continent » et ceux de Grande-Bretagne.
A l’invitation de Samuel, van Stexhe prit place à table et s’empara d’une petite brioche. Le matin, habituellement, il mangeait deux tranches de pain avec du fromage, préférant le salé. Mais comme il avait déjà pris son petit-déjeuner chez lui, une brioche sucrée constituait une excellente collation.

Le professeur de psychologie avait beau être là pour prendre des nouvelles de Salaun – ce n’était pas la peine d’espérer lui toucher un mot à propos de Lucie et lui –, c’était Samuel qui avait ouvert la discussion. Comment allait-il… Bonne question. N’ayant pas trop l’envie d’en dire trop, il se contenta de sourire et de répondre :

"Je vais de mieux en mieux…"

Oh, ce n’était pas un secret. Alcide était un peu différent depuis quelque temps. Il n’avait plus sans cesse cette envie d’être remarqué par les femmes, cette sensation d’être un salaud, au jour le jour. Il avait même l’impression de devenir meilleur. L’effet Lucie, sans aucun doute.
Mais s’il était venu, ce n’était pas pour parler de lui. Il n’était pas le nombril du monde et estimait que son absence auprès de Salaun était une belle erreur de sa part.
Mordant dans sa brioche, van Stexhe put savourer le goût sucré et l’aspect moelleux de l’aliment. Gosh, c’était comme avoir un morceau de paradis dans la bouche. La brioche était parfaite et le café délicieux. Une fois qu’il eut avalé sa bouchée de brioche, l’homme prononça quelques mots, sur un ton relativement énergique :

"Bon sang, il me faut l’adresse de ton fournisseur ! Je n’ai jamais mangé une brioche pareille !"

Décidément, Alcide craquait toujours pour les mets sucrés. Il aimait le salé aussi, certes, mais le sucré, ça le rendait complètement dingue. Il était prêt à beaucoup de choses pour une brioche comme celle-là. Peut-être était-ce dû aux réminiscences d’une jeunesse passée dans un entourage de jésuites peu enclins à permettre ce genre de plaisirs aux élèves.
Mais soit, le sucre, ce n’était pas le plus important dans l’immédiat.
Van Stexhe était souriant, d’une humeur plutôt positive et s’il était là, à table en face de Samuel, ce n’était pas pour rêver de sucreries. Il ne voulait pas brusquer son ami en posant des questions dérangeantes, mais peut-être que parler de ce qui lui arrivait allait faire du bien à Sam. Ne sachant pas trop comment amener le sujet, Alcide prit encore un peu de café avant de se lancer.

"Alors… comment te sens-tu, Sam ?"

Question d’apparente insignifiance, mais qui pouvait mener à bien des confidences. Entre le « comment vas-tu ? » et le « comment te sens-tu ? », il y avait un monde de différences aux yeux d’Alcide. La première question englobait la santé physique et le moral. On y répondait souvent par un simple « ça va », pour ne pas imposer aux autres ses problèmes. Mais la seconde question était plus subtile. Certes, elle englobait, elle aussi, la santé physique et le moral, mais le petit plus résidait dans l’avis de la personne à propos de ce qu’elle vivait. Cette question-là, c’était une porte ouverte vers l’écoute. Alcide avait choisi cette deuxième version car il était prêt à entendre tout ce que Salaun avait à dire. Il ne jugerait pas, il ne l’avait jamais fait.
Samuel devait le savoir, Alcide van Stexhe était un homme plutôt compréhensif. Avec ceux qu'il considérait comme des amis, en tout cas. Les autres pouvaient aller se faire voir, mais pas Samuel. Surtout pas lui.

Invité

Mon fournisseur est Monsieur Salaun Senior. Mon père est pâtissier, il m’envoie de temps en temps des brioches et autres viennoiseries françaises.

Si tu en veux, je lui en parlerais à ma prochaine commande. Tu auras juste à me dire ce que tu veux et je verrais avec lui.

Je n’ai plus d’emploi depuis environ un mois et demi, mes amis ne vont pas bien, je me suis éloigné de tout le monde, ma fille va me haïr, je me suis fait tabasser hier soir, mais sinon tout va bien.

Toi qui connais bien Lucie, est-ce que tu sais ce qui lui arrive en ce moment ?

Elle semble beaucoup plus heureuse et je ne sais pas pourquoi. Evidemment si elle t’a dit de ne rien dire, ne me dit rien, mais ça m’intrigue.

Invité

Voir Samuel sourire, malgré tout ce qui lui était arrivé, c’était quelque chose qui donnait envie de sourire également. Répondre qu’il allait de mieux en mieux, pour Alcide, c’était une manière, d’abord, de dire à mots couverts qu’il était plutôt bien en ce moment, tant physiquement que moralement. Il était presque heureux. Pourquoi presque ? Parce qu’il y avait toujours une petite zone d’ombre. Notamment le fait de savoir que Salaun n’était pas au top en ce moment.
Le goût délicieux de la brioche était une raison de plus de se sentir bien, mais cela n’effaçait pas les doutes et les craintes. C’était de la brioche artisanale, et ça se sentait.

"C’est dans des cas comme ça que je me dis que j’aurais préféré être élevé par un père bossant dans un autre domaine que les affaires !"

Et déjà, Samuel proposait, tout naturellement, de commander des pâtisseries supplémentaires pour van Stexhe. C’était le côté solidaire et partageur de Salaun. Alcide appréciait cette proposition. Sam était toujours partant pour faire plaisir aux personnes qu’il appréciait. C’était l’une de ses qualités remarquables, toujours prêt à donner un coup de main ou à se rendre utile. Le genre de comportement que le professeur de psychologie avait parfois du mal à adopter, avec certaines personnes, en tout cas, et selon certaines circonstances.

"C’est sympa de proposer, Sam… Je te passerai des pralines quand ma sœur m’en enverra. Tu verras que le savoir-faire de la maison Neuhaus est à la hauteur de sa réputation !"

Concernant la question de van Stexhe, la réponse que lui fit Samuel le laissa un peu pantois. Au lieu de sentiments et d’émotions, Sam répondit en termes de faits. Ce qui montrait à quel point l’homme était mal en ce moment. Il ajouta bien une pointe d’ironie, mais cela ne fit pas rire Alcide.

"Quand rien ne va, il faut commencer par arranger ce qui te concerne le plus. Il faut parfois pouvoir être un « bon égoïste », Sam. Je me doute que ce n’est pas facile en ce moment et je sais que tu as toujours été du genre altruiste… mais là, il va falloir que tu penses un peu à toi."

C’était vrai, il fallait parfois arrêter de penser aux autres et se mettre soi dans la liste des priorités. C’était une étape indispensable pour le bien-être.

"Tu dois t’accrocher, Sam. Trouver un boulot, ça peut prendre du temps. Et si tu te présentes à des entretiens d’embauche avec une gueule jusque par terre, tu as peu de chance d’être choisi. Tes amis, ça ne doit pas être une de tes priorités pour le moment. Prends un peu de temps pour toi, pour te détendre, pour faire le point et pour… soigner les traces de ton passage à tabac. Je t’aiderai à te sentir mieux, si tu veux. Je t’emmènerai à la piscine, en aromathérapie, n’importe où, peu importe, mais il faut que tu puisses sortir de chez toi et retrouver le sourire !"

Al n’avait pas répondu à l’une des assertions de Samuel. Celle qui concernait le fait que Lucie allait le détester. Ça n’était pas possible. Quoi qu’il puisse advenir, on ne parvenait jamais à haïr ses parents. Même s’ils vous ont fait subir les pires atrocités. Même si vous avez honte d’eux. Ce qui relie un enfant à ses parents, c’est la vie, pour commencer, car on doit tous la vie à deux personnes. Ce fil invisible, qui relie un gosse à deux adultes, il ne peut se briser qu’avec la mort. On ne peut pas ne pas aimer ses parents.

Puis, alors qu’Alcide buvait son café, il faillit tout recracher en entendant la question de Samuel. Il évita l’incident, mais ne put contenir une quinte de toux. Son ami continua, en parlant du bonheur apparent de sa fille. Van Stexhe crut qu’il allait rougir. Ou fondre sur place. Peut-être avait-il un peu rougi. Avec le début des paroles de Salaun, en fait. « Toi qui connais bien Lucie »… S’il savait, bon sang ! Connaître quelqu’un, c’était quelque chose, mais Lucie, Alcide la connaissait différemment de la manière dont Sam pensait qu’il la connaissait. En jouant un peu avec les mots, on pouvait même dire que van Stexhe la connaissait au sens biblique du terme.
Alors, quoi ? Qu’était-il censé répondre à cela ? Il ne fallait pas mentir, mais il fallait faire attention de ne pas mettre la puce à l’oreille de Samuel, non plus.

"En fait, je pense qu’elle est tout simplement amoureuse… ou en train de le devenir. Je ne sais pas exactement… mais c’est vrai qu’elle a l’air bien épanouie ces temps-ci ! ça fait plaisir de la voir souriante comme ça…"

Il n’avait pas menti. Mais n’avait pas tout dit non plus. Lucie n’avait pas demandé à Alcide de se taire, de ne rien dire, ils étaient d’accord pour parler de tout cela avec Samuel une fois que la jeune fille se sentirait prête. Et le moment n’était sans doute pas le mieux choisi.

"Mais dis-moi… Pourquoi Lucie te haïrait-elle ?"

C’était ce qui lui posait le plus question. Jamais la demoiselle n’avait évoqué cette possibilité avec van Stexhe et jamais il n’aurait soupçonné une mauvaise relation entre le père et sa fille. Qu’en était-il, alors ?

Invité

Des pralines ? Je n’en ai pas mangé depuis très longtemps. Ca sera avec plaisir.

J’ai postulé dans toutes les universités alentours, plus tous les lycées, aucune réponse positives. J’ai demandé à une amie, un poste d’enseignant en médecine dans un hôpital, j’attends encore sa réponse, mais je ne m’attendais vraiment pas à ce que ça soit positif. Pour mes amis, je me dois aussi d’être là pour eux. J’ai des enfants que je dois d’élever, j’ai des amis qui comptent sur moi, j’ai …

Sortir, je ne le fais que rarement, car pour le moment je dois trouver un moyen de payer mes factures et le sourire je l’ai sans quoi je serais dans un état bien pire qu’aujourd’hui. Oh et pour le passage à tabac, tu verras ça avec Edward, il s’en ait donné à cœur joie.

Amoureuse ? Il va falloir que je vois qui est celui qui la rend ainsi pour lui dire deux trois choses.

A vrai dire, il y a deux personnes que je dois lui présenter, mais je ne sais pas encore le faire. Je sais qu’avec une de ses personnes ça devrait plutôt bien se passer, pour l’autre ça risque d’être une vraie catastrophe.

Invité

La brioche était délicieuse, et Alcide prenait le temps de la savourer. Il ne comptait pas en manger trop, car avec ces trucs-là, il était incapable de s’arrêter s’il ne se fixait pas de limites d’emblée. Alors, il dégustait sa brioche petit morceau par petit morceau, en prenant son temps. Van Stexhe avait sa propre méthode pour déguster des aliments comme ceux-là.
Que ce soit de la brioche ou des pralines, il procédait toujours de la même manière et il appelait cela « goûter par les cinq sens ». Cela commençait par le toucher, les doigts de l’homme étudiaient la texture de l’aliment, son élasticité, sa douceur… Il regardait en même temps les couleurs, les irrégularités de forme, les courbes… Ensuite, quand il portait l’aliment à sa bouche, un parfum léger se faisait sentir et le nez amorçait une hypothèse sur le goût qu’aurait l’aliment. Quand les dents croquaient dedans, un son se faisait entendre par résonnance via la trompe d’eustache. Et dès que l’aliment touchait la langue, les papilles gustatives faisaient leur office, envahissant la cavité buccale de tout un tas de saveurs et de nuances. Il y avait à nouveau l’impression d’un parfum…
Quand Gwendoline enverrait le ballotin de pralines de la maison Neuhaus, Alcide le garderait pour le partager avec Samuel. Si Leonidas s’était relativement bien exporté, jusqu’en Amérique, Neuhaus n’était pas dans le cas, à cause – ou grâce ? – au choix de l’artisan chocolatier de rester justement un artisan chocolatier et de ne pas se lancer dans la grande distribution.

"Dès que j’aurais reçu le colis de ma sœur, je t’invite chez moi. Soirée pralines et chocolat chaud."

Salaun était un homme de goût. Pas seulement pour les pralines. C’était valable aussi pour la musique, pour les lectures, pour l’art en général… Parfois, ils étaient en désaccord, Al et lui, mais ce n’était pas le plus fréquent.
Van Stexhe appréciait beaucoup Samuel. Depuis quelque temps déjà. Il avait trouvé en cet homme quelqu’un d’intéressant avec qui la conversation était toujours enrichissante. Il faisait partie des amis avec qui on est soi-même et avec qui on peut avoir des discussions sensées. Un ami qui aidait à porter un certain regard sur le monde. Et savoir que cet ami était dans la merde, ça fichait un fameux coup à Alcide. Il aurait bien voulu l’aider, d’une manière ou d’une autre.

"J’espère que ça s’arrangera pour toi… mais si jamais je peux faire quelque chose, dis-le moi…
Je ne peux pas te donner un poste quelque part, mais je peux t’aider à garder les idées claires et la tête froide…" Il s’interrompit un moment. Samuel avait parlé d’Edward. Edward ? Il avait tabassé Sam ? Qu’est-ce que c’était que cette histoire ? "Attends un peu… il s’est passé quoi avec O’Malley ?"

Lors de leurs soirées alcoolisées, jamais Edward n’avait été violent avec Alcide… Pourquoi l’était-il avec Samuel ? Qu’est-ce qu’il se passait entre ces deux-là ? Merde, comment il allait devoir réagir, du coup ? Alcide était ami avec les deux hommes… s’ils étaient en froid, il allait falloir choisir un camp et agir en conséquence… Qu’est-ce qui était le plus important dans l’amitié ? La complicité et la compréhension mutuelle ou bien le fait de s’amuser et se vider la tête sans avoir à réfléchir ? Les deux étaient importants. Mais s’il fallait choisir…
Heureusement, le sujet de Lucie était moins prise de tête. Enfin, d’une certaine manière. Car au fond, van Stexhe se sentait presque coupable d’être la cause du bonheur de la jeune fille à un moment où son père touchait le fond…

"Tu lui dirais quoi, à ce type ? Si elle l’aime et qu’il la rend heureuse, je pense que c’est plutôt l’une des meilleures choses qui puisse arriver à Lucie en ce moment…"

Bon, d’accord, van Stexhe n’était pas très objectif. Mais en même temps, il ne pouvait pas l’être. C’était impossible. Il était trop impliqué. Toutefois, dans un sens, ces paroles qu’il avait dites étaient celles qu’il aurait dites si Lucie était en couple avec n’importe quel mec. La différence, c’était sans doute qu’il en profitait pour essayer de voir comment Salaun réagissait par rapport à cela, sans connaître l’identité de l’heureux élu.

Ceci dit, Samuel éveilla la curiosité de van Stexhe en parlant de deux personnes qu’il avait à présenter à la jeune fille. Avalant une gorgée de café, l’homme écouta attentivement ce que son ami racontait, puis il prit à son tour la parole.

"Tu ne veux pas être un peu plus précis ? Je peux peut-être t’aider, préparer le terrain, en quelque sorte…"

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