Collée à Berkeley. Cela fait très peu de temps que je suis en Amérique, et je n'ai vraiment pas mis long feu pour me retrouver en retenu. En même temps, ce n'est pas de ma faute hein. Bon, d'accord, c'est en partie ma faute. Mais c'est une toute petite partie. Minuscule. C'est à cause de cette hystérique de Prune toute cette histoire. Mais alors, quand je dis hystérique, je ne pèse vraiment pas mes mots. Elle m'exaspère cette fille. Autant au tout début, je n'avais rien contre elle. Je m'entêtais même à essayer de la convaincre que je n'étais pas une «  salope » qui se tapait tout ce qui bouge, notamment les petits-amis des autres. D'accord, en première année, j'ai couché avec son petit-ami. Mais, sérieusement, je ne savais vraiment pas qu'il était avec une autre fille. Je n'aime pas particulièrement ce genre de fille, qui s'amuse à prendre les petits copains des autres. Je ne suis pas une garce. J'aime m'amuser, d'accord, mais je trouve qu'il y a bien assez de garçons de libres dans ce monde. Bref, Prune m'en veut, énormément. Et j'en ai assez de lui expliquer qu'au fond, ce type n'était rien qu'un enfoiré. Elle ne veut pas m'entendre, elle tient absolument à me voir comme une ennemie, donc soyons ennemies.
J'étais donc coincée dans cette fichue salle de retenue avec cette fille parce que, ce matin même, nous nous sommes battues. Et pourtant, dieu sait que je ne suis pas ce genre de fille, à chercher la bagarre. Mais alors vraiment pas. Je l'ai croisée dans un couloir, à vrai dire, j'étais un peu perdue. Berkeley est grand, et je ne peux pas compter sur mes connaissances de la langue anglaise pour m'en sortir. En passant à côté d'elle, je n'ai pas pu m'empêcher de lui lancer un petit pique. Pas énormément méchant non plus, mais ça a suffit à l'énerver. Tout ça pour dire que quelques minutes plus tard, un surveillant a dû nous séparer, parce que nous en étions venues aux mains. Bien entendu, il nous hurlait dessus en anglais. Ce qui fait que je n'ai pas vraiment tout compris, j'étais même plutôt amusée. Ah, si, j'ai compris une chose qu'il n'arrêtait pas de répéter : Stop-it ! J'ai même vu ses veines, tellement il était en colère.

Nous sommes que toutes les deux dans la salle, aucun autre élève mis en retenu, aucun surveillant. Enfin, celui qui nous avait mis en colle était venu au début de l'heure - c'est à dire dix-sept heure pile - histoire de nous donner quelque chose à faire. Au lieu d'écrire sagement de stupides lignes et de méditer sur cette bagarre, je tapote violemment mon crayon à papier contre mon calepin. Je suis préoccupée par autre chose, et je n'ai aucune envie d'écrire le moindre petit mot. Pourquoi suis-je ici, déjà ? Aux États-Unies, à Berkeley ? Aah oui, parce que les trois quarts de mes amis sont ici également. Et Arthur. Quoi que, finalement, je n'ai pas envie de penser à lui. C'est difficile. Je l'aime. Il m'aime aussi, sans aucun doute. J'ai tout fait foiré, j'ai envie de lui. Le récupérer. Le temps de ce voyage. Je ne veux plus y réfléchir. Je me pose bien trop de questions à son sujet, à notre sujet. Je lève les yeux au ciel. C'est dur d'aimer, finalement. Assise en tailleur sur ma chaise, je me met finalement à dessiner sur ce calepin. Pourvu que ces deux heures de retenues se terminent rapidement. Finalement, je me retourne vers Prune. Avec un sourire espiègle, je lui lance : « Hey, la parano .. » C'est le surnom que je donne à cette fille. Premièrement, parce que c'est une façon de l'énerver encore plus, et deuxièmement, parce que c'est exactement comme ceci que je la voie. Toujours par rapport à cette histoire de garçon. « Qu'est-ce qui est jaune, qui monte et qui descend ? » Petit moment de silence. Je m'excuse de cette devinette légèrement nulle, mais il faut bien engager la conversation. Étant donné qu'elle ne me répond pas tout de suite, je continue : «  Un canaris dans un ascenseur. » C'est facile pourtant. Je retourne à mon dessin. Pour le moment, il n'est pas très avancé. C'est un petit croquis d'une fille et d'un garçon, un couple, bien heureux. Avec une bague de fiançailles sur la main de la fille. Bon, d'accord. C'est un dérivé d'Arthur - Punaise, il m'obsède lui - et moi. Je regarde une nouvelle fois ma montre, il reste encore du temps. Bien trop de temps. Cette retenue risque d'être bien longue.