Quand on commence une journée du pied gauche, on la finit rarement du pied droit…
C’est sur cette pensée philosophique que Kienan Darlyle démarra sa journée d’une humeur massacrante. Il regarda d’un œil son lit défait, sa chambre universitaire, qui soit dit en passant était dans le plus pur des chaos, et décida de faire abstraction de ces imperfections. Après tout, on était vendredi matin, c’était presque le week-end, alors ranger aujourd’hui pour se réveiller dans le même bordel le lundi matin… Non merci.
Quoiqu’il en soit, Kienan se dirigea sans motivation aucune vers sa salle de bain. Il y a des personnes auxquelles les effets de l’eau chaude sont bénéfiques… Mais le GAMMA n’en faisait pas partie. Eh oui.

Ellipse temporelle.
On apprend pas ça en éco et gestion, n’empêche qu’il était 18h30, que les cours étaient finis, et que Kienan était en piteux état. Une larve. Il y avait cette soirée chez les SIGMA à laquelle Corbin l’avait convié… Corbin fait toujours des pieds et des mains pour l’inviter, il aurait été impoli de refuser…
C’est avec cette excuse pourrie en poche que le ténébreux, bien qu’exténué, passa par sa chambre, enfila une de ses sempiternelles chemises noires et se dirigea vers la confrérie des artistes.
Il était 19h00, la nuit était tombée d’un coup, comme un rideau opaque. Kienan, dehors, s’alluma une cigarette en marchant de son pas nonchalant. Il faut cultiver sa classe jusqu’au bout. La soirée s’annonçait longue et pénible, n’empêche que même au bord du gouffre, jamais Monsieur Darlyle n’aurait passé un vendredi soir chez lui… Non, pas dans le personnage. Il faillit trébucher sur le chemin des grecs. Tout de même, il était sacrément à côté de ses pompes ce soir…
De nombreuses fois présent aux fêtes des SIGMA, merci à Corbin d’être un ami si fidèle, Kienan n’eut aucun mal à rentrer, et croisa même quelques têtes connues. Mais pas assez pour rester avec toute une soirée quand même, faut pas exagérer. Toutefois, pas dans le bain, il eut tôt fait de ressortir, certes avec un peu plus d’alcool dans le sang et quelque chose qui ressemblait à un pétard dans la main, mais seul et dans un état pas si catastrophique. A vrai dire, Kienan se souciait trop de son image pour terminer en épave, mais plus d’une fois, il faut l’avouer, il était allé un peu trop loin… Ne rentrons pas dans les détails.

Bref. C’est en titubant sur le chemin joignant les confréries qu’il parvint, après une longue demie heure de galère, à atterrir dans la sienne. Home Sweet Home. Il s’assit dans l’herbe fraîche devant le bâtiment, visiblement très peu concerné par le fait que le sol était glacé en plus d’être mouillé. Il observa un moment le ciel étoilé. Cela faisait un certain temps qu’il n’avait pas fait assez beau pour qu’on voie les étoiles… Lui qui adorait la nuit, il se surprenait à n’en avoir rien à faire ce soir. Décidément, une journée à oublier. Pas si dure à omettre d’ailleurs, il ne faut pas négliger que demain c’est samedi, et que le samedi… Le samedi c’est comme le vendredi, mais en pire.

Non non, il n’avait toujours pas remarqué cette petite silhouette en boule, juste à côté de l’immeuble, qui … Pleurait ?
Oh merde.
Même dans la nuit, même au milieu d’une foule d’asiatiques il aurait reconnu ces longs cheveux bruns. Megara.
Il n’avait pas pris la peine de retenir son nom, il n’appréciait que très peu la compagnie de cette jeune fille et celle-ci le lui rendait bien. Alors, certes, l’individu était charmant. N’empêche que quand on a un caractère de chien comme Megara, on ne peut pas s’entendre avec quelqu’un comme Kienan, qui a tout aussi bien un… Fort caractère, on va dire. Mais là, elle était en train de sangloter comme un petit chaton abandonné. On entendait qu’elle voulait se faire discrète, aucun gémissement, mais on entendait aussi des reniflements significatifs. Et ça, ça veut tout dire.
Kienan redevint sobre assez rapidement, presque sur le coup à vrai dire. Il avait beau être sans cœur… Voir une fille pleurer n’est jamais amusant. Quoique, quand il s’agissait de Megara, ça pouvait le devenir. Est-ce qu’elle s’appelait bien comme ça d’ailleurs ? .. Ça méditait réflexion.
Dans un état second, le brun passa un petit bout de temps à réfléchir là-dessus, persuadé que la trouble-fête allait bien finir par rentrer dans le bâtiment. Manifestement, c’était mal parti. 5 minutes… 10 minutes… 15 minutes… Où trouvait-elle toutes ces larmes ?
20 minutes. Il se décida à se lever et à aller la trouver. Elle était au coin de l’immeuble, assez près de la façade latérale pour ne pas être éclairée par les lumières nocturne. Elle était dans l’obscurité la plus totale. Un point noir sur une feuille noire. Pour l’instant, elle pleurait plutôt tranquillement, le volume et la fréquence des reniflements avaient nettement baissé depuis tout à l’heure. Malheureusement, sa sœur étant une grande pleureuse, il était bien placé pour savoir que tout évènement extérieur, en particulier la présence de quelqu’un, pouvait relancer une crue dans un fleuve récemment asséché. Aussi hésita-t-il un instant. Pas assez sadique pour faire pleurer une fille assurément déjà au plus bas. Même une fille invisible, désagréable, solitaire et très antipathique.

Une fille reste une fille.

« Alors quoi Megara ? Tu t’es cassé un ongle ? »

Il savait bien que ce n’était pas DU TOUT son genre, il attendait juste d’avoir le plaisir de la faire enrager. Mieux vaut une fille en colère qu’une fille qui pleure. Pour Kienan en tout cas, c’était moins risqué. On sait jamais trop de quoi est capable une fille qui pleure, alors qu’on sait qu’une fille en colère est capable du pire…